Empreintes

Empreintes

Les autres. Acrylique, mortier crystal, feuilles d’or, 18 x 13 cm – 2021

Empreintes fait suite d’un sujet qui me tient à cœur de longue date, la question du rapport à l’autre. La forme de ce projet prend comme point de départ une exposition commune sur le thème des Cahiers en 2021, ainsi que mes recherches esthétiques d’alors, autour de la matière et de la feuille d’or.

Empreintes, le manifeste

Batailles d’opinions, luttes de pouvoir, réclamations de toutes parts, autant de querelles pour revendiquer le droit d’exister, exister pour soi, exister aux yeux des autres, reconnu·e·s. Autant de cris révélant au fond le désir commun d’appartenance, de partage, de compréhension, autant de cris pour ne plus être seul·e. C’est un fait le cours de l’histoire nous a progressivement éloigné·e·s les un·e·s des autres, le sentiment de solitude gangrène à mesure notre société, un sujet qui fait aujourd’hui couler tant d’encre que de sang, ses conséquences délétères sur les individus n’étant plus à prouver.

Même l’avènement récent des réseaux sociaux qui promettaient de nouvelles passerelles se sont révélé davantage distancier les individus séparés par ces écrans de verre. Un phénomène que l’on observe en particulier dans les grandes villes où nous croisons chaque jour d’autres centaines d’individus, tous·tes en prise avec notre propre temps, trop occupés par le travail la famille les divertissements, fatigué·e·s, indisponibles, parfois même effrayé·e·s, la fracture sociale se creuse, encore et toujours. Pourtant des ponts peuvent encore être créés, nos liens ténus renforcés par un meilleur partage de nos vécus, une reconnaissance mutuelle.

Au fil de mes pérégrinations, dans les vide-greniers, les brocantes et même sur le pavé de la rue, je m’attache à chercher des traces écrites par des inconnus. Cartes postales, mots chiffonnés tombants de la poche, ancien cahier d’écolier… Je les cherche et les vois chacune comme pièce d’un puzzle solitaire figurant la vie d’un·e autre, son existence que je ne connais pas, fraction d’une vie comme empreinte fortuite d’autrui foulée par les mains et les pieds d’autant d’inconnus. 

Ces traces écrites, ces petits papiers matérialisent pour moi cette rupture entre soi et les autres, cette frontière insoluble entre connu et inconnu.

Le projet Empreintes est une invitation à questionner notre rapport aux autres, notre individualité confrontée au collectif, une invitation à recoudre, ensemble, la fracture sociale.

Sa forme met en abîme ces empreintes, empreinte digitale empreinte du corps de l’artiste dans la peinture, le moi,

elle met en abîme comme empreinte figurée l’empreinte manuscrite d’autrui matérialisée par le papier, l’autre.

Toutes ces empreintes, suturées d’or, proposent non pas de taire nos différences mais de les prôner, ensemble.


Cette suture d’or s’inspire de la philosophie rattachée à l’art du Kintsugi, méthode traditionnelle japonaise de la réparation d’objets mettant en exergue et sublimant la fêlure, métaphore de la résilience et ode à l’imperfection comme à la fragilité.


Et c’est seulement à partir du moment où l’individu cesse […] de considérer le monde comme quelqu’un qui « de l’intérieur » d’une maison regarderait la rue, « à l’extérieur », à partir du moment où, au lieu de cela […] il arrive aussi à se situer lui-même et sa propre maison dans le réseau des rues, et dans la structure mouvante du tissu humain, que s’estompe lentement en lui le sentiment d’être « intérieurement » quelque chose pour soi tandis que les autres ne seraient qu’un « paysage », un « environnement », une « société » qui lui feraient face, et qu’un gouffre séparerait de lui.


ELIAS Norbert. La société des individus, 1939, Editions Fayard, Collection Agora, 1997. p99


Le projet Empreintes fut exposé pour la première fois au sein de l’exposition collective Cahiers à L’Atelier, en 2021 à Rennes.

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