Performer. Photographie – 2021
En questionnement sur mon identité sociale, ce que mon apparence reflète, ce que les autres interprètent, ce que je souhaiterais qu’iels voient, je m’attarde sur mes photos de profil sur les réseaux. Quintessence de la performance de soi, ce médium oblige tout un chacun à faire un choix : quelle facette représenter de moi, quel personnage voudrais-je incarner ?
Voulant m’éloigner de la caricature que j’avais sous les yeux, cette jeune fille en robe, cheveux dans le vent dans un lointain paysage, j’en prends le contre-pied avec un autoportrait entièrement maîtrisé, débarrassé de l’illusoire photo prise sur le vif, soi-disant « naturelle ».
Performance et réseaux
Questionnement sur l’injonction à la performance sociale, entre le paraitre et la réalité dans nos images de profils sur les réseaux sociaux.
Cela est et a toujours été une nécessité de performer notre comportement, nos attitudes, notre apparence dans l’espace social. Pour se faire comprendre, reconnaitre, accepter, pour intégrer la vie collective, pour se détacher en tant qu’individu tant que pour marquer son appartenance au groupe. L’arrivée des réseaux sociaux a créé une nouvelle manière d’exercer cette performance, un nouveau langage à part entière, un apprentissage en filigranes qui, génération après génération, est passé de l’acquis à ce qui semble être inné.
Les réseaux sociaux, désormais quasi incontournables dans nos vies se démarquent dans la performance de soi par leur caractère aussi perfectible que statique, par leur accessibilité constante, par la maîtrise, quoique toute relative, que nous avons sur cette vitrine de nous-mêmes. Disponible au regard de toustes elle fondera l’avis d’autrui dans bien des cas et, après un processus d’apprentissage social particulièrement rapide, nous a imposée de brosser notre propre portrait, de construire notre mythologie individuelle. On y cultive la beauté, l’amabilité le bonheur la joie, sous-entendu la complète santé* soit le reflet d’individus parfaitement adaptés socialement, un idéal ne convenant qu’à ces écrans de verre bien loin de nos réalités.
Courant 2021, dans une période de questionnement à propos de ma propre identité, j’observe mon image de profil actuelle sans me reconnaitre. Qui est cette personne sur la photo ? Petite robe, cheveux dans le vent, grand sourire, le tout devant un paysage exotique (si instagramable ce lac dans les montagnes), belle performance de genre comme de classe, fraîche et aventureuse, aimable. En prise avec une volonté très forte de me détacher de ce persona me suivant comme une ombre dans ma vie quotidienne, voulant être vue autrement que comme la fille mignonne, il me semble indispensable de changer cette image du tout au tout. Seulement comment choisir la bonne facette de ma personnalité, celle qui prédominerait, comment me représenter sans avoir la sensation de trahir une partie de moi-même ? Ne pouvant échapper à cette performance indubitablement limitée et donc incomplète, comment exprimer cette contrariété, cette frustration qu’impose le médium ? J’y ai répondu par la satire.
En partant à l’opposé de la précédente photo, si je ne peux éviter la mise en scène je vais l’exacerber au possible. J’installe derrière moi un fond de papier blanc et prends garde à me vêtir d’une tenue tout aussi passe-partout. Je positionne mon ordinateur et sa caméra face à moi, l’objet même au centre de ma problématique. Avec son adelphe le téléphone en main, ustensile emblématique de l’internet social, je dissimule en partie mon visage pour appuyer le caractère incomplet du portrait et tenter d’éviter l’écueil du bien paraitre. Il me sert du même temps à insister sur le regard, « miroir de l’âme », sous-entendu la profondeur de l’être dissimulé derrière l’apparat. J’adopte une attitude aussi neutre que possible, tentative d’effacer le masque social avant d’enfin lancer le retardateur. Cette mise en abîme des écrans ne me semble pas encore suffisante ; je reprends mon cellulaire pour photographier de nouveau mon portrait sur l’écran. Quand les couleurs de la photo se transforment déjà à mesure, je m’amuse à constater la multitude de réglages supplémentaires permettant toujours plus la sublimation irréelle de l’individu et en choisis le plus ironique : « éclairage naturel ». Je prends en capture mon écran et comme dernier trait d’humour, laisse apparaître dans l’angle, aperçu de la précédente photo, de nouveau l’œil dont le verre des lunettes s’interpose avec l’objectif, verre dans lequel se reflète l’écran contenant la photo de l’œil.
Voici ma performance pour les réseaux.
Note à propos des réseaux
Plus ce miroir déformant prend de la place dans nos vies, plus l’on se rend compte des dangers qu’il représente pour notre bien-être mental, pour notre image de nous-mêmes, pour notre sociabilité concrète. Cette marchandisation de nos images a, en effet, les conséquences délétères qu’on connaît : individualisation excessive, dépréciation de soi et des autres, déréalisation et toute une myriade d’autres mots en « tion » ayant comme lien ce sentiment de solitude, effectif ou fondamental, grandissant en chacun·e·s d’entre-nous. On l’observe à bien des endroits, les influenceur·euse·s iels-mêmes communiquant de plus en plus sur cette détresse. Peut-on attendre un nouveau tournant, plus positif, une prise de conscience globale, de nouvelles manières de communiquer pour parer cette solitude ?
*Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé) la santé est définie comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social […] » depuis 1946 et n’a pas été modifiée depuis. Pourtant est-ce réellement possible d’y concorder aujourd’hui de façon pérenne ?