Nos corps. De Chair et d’Os, processus de réalisation – 2022
Pastel sec, peinture acrylique, 70 x 100 cm
De Chair et d’Os est un geste d’autoréappropriation du corps féminin encore perçu comme objet et, du même temps, questionne la dualité séculaire corps/esprit. Sa palette de couleurs vives et ses textures brutales évoquent le chahut du monde extérieur imposé à ces corps quand le squelette apparent, doux et lumineux, rappelle ce qui n’est pas visible, ce qu’il y a au-delà.
1. La réalisation
2. La réflexion
1. La réalisation
De Chair et d’Os est le premier projet sur lequel je m’essaie à des formats aussi grands. J’ai pourtant toujours affectionné les petits formats, par amour du détail comme l’illustre le projet Empreintes, par esprit de collection comme l’illustre le projet Atmosphère, par praticité aussi à travers les années. Certainement avoir été socialisée en tant que femme a joué aussi sur cet attrait. Le sujet de De Chair et d’Os, en tant que réappropriation du corps féminin, devait être autre, il devait prendre l’espace, justement lui-même se l’approprier et pour cela les œuvres devaient être les plus grandes possibles, visibles.
La technique utilisée, le pastel sec, imposait sa contrainte : similaire à la craie, sa texture poudreuse ne s’accroche que sur certaines matières bien spécifiques, en particulier pour techniquement pouvoir rentrer dans le détail. Impossible de travailler sur toile donc, je travaille sur papier pastelmat, un papier à grain spécialement conçu pour le pastel, dont le plus grand format commercialisé est celui de De Chair et d’Os, 70 x 100 cm. Cette technique nécessite également sa propre organisation matérielle, la poudre volatile doit être prise en considération et met un joyeux bordel dans l’atelier.
En quelques mois les formats prennent forme les uns après les autres jusqu’à l’aboutissement du projet. En octobre 2022 arrive le festival de littérature féministe Dangereuses Lectrices, aux Ateliers du Vent (Rennes), qui m’offre l’opportunité d’occuper l’espace d’exposition. De Chair et d’Os est alors proposé aux visiteur·ices avec qui j’ai pu échanger, un public diversifié et curieux dont le retour chaleureux m’a beaucoup touché.
2. La réflexion
Quand une distinction de genre au profit de l’un est écrasante depuis déjà 4 000 ans avant notre ère, quand les hommes monopolisent les grandes inventions telles que l’écriture, l’état, les armes de guerre comme les nouvelles formes de religions monothéistes et que la domination masculine établit dès lors un contrôle écrasant sur le cours de l’histoire, sur la représentation et donc l’existence même du genre opposé en dehors de son rôle biologique assigné, la maternité ;
quand la distinction corps esprit s’insinue à mesure dans nos sociétés et que les femmes, assimilées à la nature, terre nourricière aussi effrayante qu’indomptable, réduites à leur corps et donc perçues sans esprit, sont de plus en plus méprisées à l’image du texte de Baudelaire écrivant en 1864 « La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. »* ;
quand les femmes sont encore et toujours évincées des sphères intellectuelles, du pouvoir, malgré leur place de plus en plus importante dans la production du travail rémunéré et si certaines batailles pour la possession de leurs propres corps ont été gagnées mais que les racines de la domination continuent de s’acharner, on ne peut que constater que le combat pour l’existence des femmes en et au-delà de leur matérialité vient tout juste de commencer.
De Chair et d’Os est l’expression de cette dualité corps esprit, un cri de guerre pour dépasser ce à quoi la société ramène constamment les femmes. Le vacarme que produit la palette de couleurs vives, de couleurs contrastées et contradictoires comme ce que l’on impose à ces corps se confronte à la fragilité du pastel sec les figurants. Sur la chair l’empreinte de la caresse comme une brûlure laisse finalement apparaître ce qui nous constitue tout un chacun·e : l’ossature, première et dernière trace matérielle de l’être humain.
*Charles Baudelaire,
Œuvres posthumes, Mon cœur mis à nu,
1864, Editions Mercure de France, 1908. p101